mercredi 24 mars 2010

La Fabrique d'Architecture agricole

Une autre découverte des NAJAP 2010, la Fabrique d’Architecture. Pierre et Rémi Janin, deux frères issus d’une famille d’agriculteurs à Vernand, dans la loire. Le premier étudie l’architecture à Saint-Étienne et la Philosophie à Lyon, l’autre étudie le Paysage à Blois et l’Architecture et Projet Urbain à La Villette. Tous deux de retours dans leurs village natal, ils créent la Fabrique d’Architecture dans le but faire concilier, d’une manière contemporaine, l’architecture et le paysage agricole jusqu'à présent marginalisé.

L’implication d’un architecte et d’un paysagiste dans les projets agricoles n’a de sens pour nous que s’il permet d’améliorer et d’aller dans le sens d’un projet agricole et de sa compréhension entière, et de le rendre meilleur et ouvert vers l’extérieur.
Dans un entretien accordé à Architecture Positive, ils nous confient leurs convictions, leurs contraintes et la manière dont ils parviennent à faire accepter le bon sens d’une réflexion contemporaine dans un univers « terre à terre ».





Olivier Leclercq : Comment vous êtes-vous orientés (en partie) vers l'architecture agricole?

Pierre et Rémi Janin : Nous sommes frères et sommes tous deux issus d’une famille d’agriculteurs dans le nord du département de la Loire. Nous avons ainsi grandi sur une exploitation agricole et nous sommes impliqués dans son fonctionnement dès que nous le pouvions dans notre enfance. Nous y sommes aujourd’hui d’ailleurs toujours basés. Nos différents cursus au cours de nos études nous ont cependant amenés à étudier respectivement en architecture et en paysage, sans envisager ou supposer de relation possible avec la question agricole. 
La marginalité et la méconnaissance de l’agriculture dans ce milieu qui était nouveau pour nous ont conduit progressivement à nous retourner vers ce sujet et à comprendre la spécificité que nous offrait cette position. 
A la fin de nos études respectives, nous avons finalement décidé de mener un diplôme commun entre diplômant paysagiste et architecte sur l’exploitation agricole dont nous étions issus, en nous interrogeant de manière constructive sur la pertinence et l’apport possible d’une intervention architecte et paysagiste sur une exploitation agricole actuelle. 

Cette expérience commune a ensuite été pour nous la base de notre orientation professionnelle, en mettant ensuite en place une structure toujours basée sur le site de cette exploitation agricole d’architecture et de paysage. Notre volonté a été dès le départ de travailler, au moins partiellement, sur les questions agricoles. Nous ne pensions pas réellement que ces questions pourraient représenter une part conséquente de notre activité. Finalement nous avons pu rapidement participer à des concours publics liés à ce thème (zone agricole pour neuf bâtiments d’élevage en Savoie, pôle régional de manifestations agricoles en Lozère, stabulation libre pour vaches laitières pour l’INRA dans la Vienne, etc.), puis travailler sur des projets à l’échelle d’exploitations agricoles (conception de bâtiments en relations avec les chambres d’agriculture, abords de ferme, projets de paysage sur des exploitations agricoles, etc.). Au-delà des projets, nous avons ensuite travaillé sur des études liées à la question de l’agriculture, l’un visant à mettre en place avec l’Institut de l’Elevage une typologie des bâtiments agricoles récents et contemporains en France, l’autre portant sur l’évolution du bâti agricole en France depuis les années 1960 avec l’association Maisons Paysannes de France et le Ministère de l’Agriculture. Notre activité est ainsi depuis largement orientée sur des projets agricoles, notre volonté étant d’élargir ce domaine et d’en faire pour nous un champ d’investigation large, pérenne et viable en tant qu’architecte et paysagiste.

OL : Quelles sont vos convictions?

P et RJ : Concernant la thématique agricole, nous pensons que l’intervention architecte et paysagiste sur ce sujet ne peut se faire que par la compréhension fine et nécessaire de l’agriculture actuelle, de ses pratiques, des raisons de ses formes et de leur diversité contemporaine, et enfin des fonctionnements et perceptions propres au travail d’agriculteur. Notre intervention à notre sens ne peut être comprise uniquement dans une visée « formelle » ou liée simplement à la mise en place d’un « décor », ce que parfois les politiques d’intégration paysagère tenteraient de pousser. Nous militons à l’inverse pour une création et une conception et la mise en place d’architectures et de paysages agricoles contemporains de qualité, variés, compris d’abord pour leur nature agricole et pour la dimension de projet que peut avoir l’agriculture. Les questions d’architectures et de paysages agricoles sont ainsi souvent pensées aujourd’hui dans une démarche pouvant être relativement passéiste. 
Nous pensons que les questions d’architecture et de paysages agricoles peuvent être porteuse et créatrice d’une identité contemporaine, ouverte sur l’urbain en quittant la marginalité dans laquelle elle semble de plus en plus plongée.
L’agriculture doit également à notre sens pouvoir tenir une place plus large dans les démarches d’urbanisme et dans les constructions urbaines, et ne pas être tenue à la marge des politiques actuelles. Elle doit être largement porteuse et dynamique de projet urbain, innovante et capable d’afficher des images nouvelles. Notre volonté est ainsi de concevoir des espaces où l’agriculture a toute sa place. L’intervention conduite au parc de Gerland de pâturage urbain en 2007 avait cette vocation, celle d’interroger sur l’implication possible de formes agricoles en milieu urbain, et de se questionner ainsi sur l’effacement possible de la séparation souvent mise en avant entre la ville et l’agriculture. Le rôle du concepteur dans ce contexte est alors de pouvoir maîtriser pleinement les processus de conception qui lui sont liés, dans une relation étroite entre l’architecture et le paysage. Cela nécessiterait aussi un apprentissage plus approfondit en amont dans les écoles d’architecture et de paysage.

OLComment est reçue votre architecture?


P et RJ : L’architecture que nous dessinons a souvent vocation à s’inspirer de formes simples, issues d’une interprétation et d’une inspiration des constructions agricoles contemporaines
La volonté et la nature des constructions agricoles repose souvent dans une économie de projet et une simplicité de formes, en s’appuyant parfois sur une logique de récupération inventive. 
Elle permet aussi de jouer sur des matériaux simples (bardage bois, filets brise vent, etc.). Nous essayons à partir de là de développer une expression et une identité contemporaine, mais notre but est toujours d’être dans une écoute forte de la maîtrise d’ouvrage et des différents usagers de l’espace dans lequel s’inscrit le projet. Cela participe de la spécificité de chaque projet, en essayant d’aboutir à une synthèse entre le site, le programme, et ceux qui l’entourent.

OL :  Quelles sont vos relations avec vos clients?  
P et RJ : La relation avec les différents clients que nous pouvons avoir prend sens lorsque le projet architectural et paysager rencontre pleinement le projet agricole. 
Les agriculteurs, en tant que maîtres d’ouvrage, ne permettent pas d’afficher une certaine gratuité formelle. Elle n’est finalement acceptée, bien que généralement peu comprise, que lorsque celle-ci est décrite comme une contrainte extérieure (pour l’intégration paysagère par exemple). 
Cette manière de conception n’empêche au contraire pas la qualité, mais conduit à l’inverse à épurer le projet et atteindre une simplicité de conception exigeante. Le but est ainsi d’associer pleinement les commanditaires et de rendre ainsi le projet le plus pertinent possible et le plus efficace. D’une façon plus large, l’écoute et la compréhension de chaque contexte facilite l’échange et le dialogue que nous tentons d’instaurer avec les différents maîtres d’ouvrage que nous avons.


OL Y a-t-il une demande d'architecture contemporaine, de travail sur le paysage?

P et RJ : Nous ne rencontrons pas explicitement de demande d’architecture contemporaine. Cependant lors de la mise en place du projet, nos propositions ne provoquent généralement pas de rejet. Nous avons été dans ce sens surpris, notamment en travaillant en milieu rural et surtout pour des projets privés, de l’acceptation d’un travail sur de nouvelles démarches. 
Les engagements environnementaux (HQE, etc.) permettent également de justifier parfois plus facilement une écriture contemporaine. Le fait de développer une démarche paysagiste permet aussi de donner d’une certaine façon plus de pertinence à la justification et à la compréhension du projet. 
Cela reste cependant une clientèle qui se tourne volontairement vers nous. Le travail avec la maîtrise d’ouvrage publique, notamment en milieu rural, est plus aléatoire concernant ces questions. 


Disons qu’il nous semble qu’en milieu « sensible » en termes de paysage ou de patrimoine, le développement d’une architecture nouvelle est plus complexe. Cela tient également à la personnalité de chaque maître d’ouvrage, les maires de petites communes ayant aussi parfois peu l’habitude de travailler avec des architectes ou des paysagistes.




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